1 ) Article paru dans le journal « L’œuvre » du dimanche 11 février 1934 et repris par la Gazette de l’Oise du samedi 17 février 1934.
Le premier jour, cela commença par des pierres.
Les petits allemands lançaient sur la route les cailloux du jardin. Et le petits français lançaient dans le jardin les cailloux de la route.
Mme Hasse intervint :
— Ce n’est pas avec cela qu’on joue à la balle… Les pierres ça fait mal.
Il était quatre heures de l’après-midi. Elle s’adressa aux petits français qui revenaient de l’école :
— Vous avez goûté ?
— Non…
Elle ouvrit la grille. Ils entrèrent. On rompit le pain ensemble. Puis le chocolat.
Après le goûter la paix était faite.
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Mme Hasse s’est fait, depuis longtemps, une solide réputation à Paris. On cherche un dévouement. C’est elle qu’on trouve. Elle ne met qu’une condition à son concours : qu’on ne parle pas d’elle. Quand Mme Aschberg, au mois d’octobre dernier, prêta son domaine de La Brévière, en forêt de Compiègne, au Comité français de l’Union internationale de Secours aux enfants (organisation patronnée par la Croix-Rouge) pour qu’il y soit recueilli temporairement des enfants de réfugiés allemands, le comité ne chercha pas à qui il pourrait confier la direction de la maison. Il dit « Mme Hasse s’occupera de cela… »
Le bureau de la « directrice », à La Brévière, est maintenant décoré de nombreux diplômes. Ce ne sont peut-être pas de vrais diplômes, car ils servent à quelque chose puisqu’ils sont des témoignages d’amitié. Certains représentent des silhouettes de chiens, d’écureuils, de sapins, découpés dans du papier d’or ou d’argent. Un artiste de sept ans a même dessiné, aux crayons de couleur, deux montagnes bleues qu’un arc en ciel réunit.
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La femme de journée, qui habite le hameau, était-elle là pendant la guerre ?
— Oui… Mais les allemands n’ont fait que passer ici. Ils n’ont rien fait de mal.
Par contre, les officiers de l’état-major français sont restés là très longtemps. Ils occupaient justement la maison.
— On n’a jamais tiré sur nous, au village… Mais une bombe est tombée par là… au bout du treillage.
Elle désigne un coin de forêt qui nous entoure.
« Par là ». Du côté de ces hêtres, de ces bouleaux et de ces charmes…
Elle réfléchit :
— La bombe a fait un trou… un bon trou… La guerre a éclaté… quelle date déjà ? Quatorze. On a eu les allemands tout au début seulement. Et puis les français et des anglais. On a toujours été dans la troupe, jusqu’à la fin…
Sa petite Bernadette, qui a deux ans et demi, vient de se lier d’amitié avec M. Arnold qui arrive de Hambourg ? M. Arnold a, lui, quatre ans. De temps à autre, Bernadette se sauve de chez sa mère. Elle va voir celui qu’elle nomme le « Bébé allemand »…
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Quand elle ne va pas aider son père dans la forêt, une fille de bûcheron, qui a quatorze ans, arrive à La Brévière. Pour apprendre l’allemand. Une idée qu’elle a eue comme ça… Peut-être depuis qu’à Noël tout le monde s’est retrouvé dans la grande salle : ceux de la maison et ceux du hameau.
On dessine, au tableau noir, une maison, avec les tuiles de son toit, ses portes, ses fenêtres, sa cheminée. A côté on fait un arbre. Les petits allemands écrivent le nom de chaque chose dans leur langue. La fille du bûcheron l’écrit en français.
A huit heures du matin, quand les enfants du village passaient devant La Brévière pour aller à l’école de Saint-Jean-aux-Bois, à trois kilomètres de là, ils essayaient de débaucher les allemands :
— Tu ne viens pas ?
— Trop loin…
— C’est pas plus loin que pour nous…
Finalement l’instituteur de l’école mixte de Saint-Jean, après avoir consulté ses chefs, a accepter vingt allemands.
Ils sont quarante à La Brévière. Ce sont les plus grands, filles et garçons, qui vont désormais en classe.
Quand le jeune instituteur entra en fonction il donna, un jour, comme sujet de rédaction à ses candidats au certificat d’étude, le thème suivant : « Décrivez l’arrivée ou le départ d’un train ». Certains enfants ne purent faire la rédaction : ils n’avaient jamais vu de train.
Ce n’est pas cela qui les a empêchés de s’entendre tout de suite avec les « nouveaux » de cette année. Ils leur parlent très lentement et, quand les allemands ne comprennent pas, on se sert de signes et voilà tout. Interrogez Peter, ce jeune garçon de dix ans, long, pâle, aux yeux assez tristes.
— Comment ça va avec les petits français ?
Son visage s’éclaire. Il hoche la tête de plaisir :
— Ah ! Nous jouons très bien !
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Le jour de l’armistice, le boulanger, du haut de sa voiture, adressait des signes mystérieux à Mme Hasse. Il voulait qu’elle éloigne Paula, une des assistantes, qui était là, les bras chargés de miches de quatre livres… Il voulait aussi laisser à son émotion le temps de passer… Enfin il se retourna et sortit de derrière son siège quelque chose enveloppé dans uns serviette de toile.
— Tenez. C’est pour vos gosses… pour fêter l’armistice.
Il y avait, sous la serviette, de grandes tartes.
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C’est une vieille du hameau qui, jusqu’ici, ne parlait à personne et qui allait toujours toute seule en forêt ramasser son bois. Maintenant elle a de la compagnie.
Du plus loin qu’elle les aperçoit elle leur crie :
— Bonjour mes enfants. Bonjour, mes petits garçons. Bonjour, mes petites filles.
Les petits allemands vont avec elle au bois. Ils lui poussent sa brouette.
On rencontre quelquefois le cantonnier qui a été prisonnier en Allemagne. Il cause avec eux. Et les enfants se disputent pour lui porter sa pelle.
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A quatre heures tout le monde revient de l’école en chantant.
La mère d’un de ces enfants — un petit juif — nous disait ces jours-ci :
A Berlin nous habitions un arrondissement très antisémite. A l’école où il allait, les autres garçons l’ont souvent battu. Il rentrait toujours en courant chez nous…
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Arnold, un peu malade, est à l’infirmerie, au premier étage de La Brévière. C’est là que nous lui rendons visite. Arnold, nous vous l’avons dit déjà, a quatre ans. Il a aussi de ravissants yeux bleus et un tablier rose.
— Tu connais Bernadette ?
Il répond d’une voix stupéfiante, énorme :
— Ya.
— Où est Bernadette ?
Sûr de lui, sans même prendre la peine de se hisser jusqu’à la fenêtre, il tend la main dans la direction du hameau.
Pour faire croire qu’il ne sait pas le nom de son amie il répète, à plusieurs reprises, de sa voix de tonnerre :
— Benandette… Benardette…
Puis soudain, triomphant, il vous confond :
— Bernadette !
Germaine Decaris.
à suivre