Les droits d’usage (2)

Les droits d’usage des Abbesses

 

Les droits d’usage en la forêt de Cuise dont jouissaient les religieuses depuis le roi Louis VII, furent successivement confirmés par Philippe-Auguste, Louis IX, Philippe le Bel, Philippe le Hardi, Philippe de Valois et Charles VI.


Ces droits étaient forts étendus puisqu’elles « avaient et leur appartenaient en titre, droit d’usage, pasnage et pasturage en ladite forêt à scavoir de prendre et avoir pour leur couvant et monastère bois tant pour brusler que pour bastir, ensemble pour bastir et refaire leur monastère qui est joignant leur dite maison et de l’appartenance d’icelle : aussi prendre bois pour faire chaux pour maçonnerie de ladite maison et bois à faire aulges, bondes et aultres choses nécessaires pour leur vivier qui était aussi de l’appartenance de ladite maison, le tout par délivrance et main levée des officiers de la forêt ; prendre merreins pour faire cuves, tonneaux et cerceaux à mettre leur vin ; lattes et échalas pour les vignes (de Jaux et Ambleny, données par Agathe de Pierrefonds), pour faire charriots, charettes, charrues et barots et herses à labourer et cultiver leur terre et faire les charriages ; prendre et cueillir en ladite forêt hors taillis et buissons défendus herbe avec faulx pour leur bétail ; mettre et pasturer en ladite forêt de Cuise leurs brebis, vaches et veaux, juments et poulins, ensemble leurs pourceaulx et généralement tout leur bétail : droit de pasnage pour leurs pourceaulx en temps de paisson sans droit de logis et pouveu que leurs pourceaulx reviennent au giste en leurs maisons en tout temps soit en temps de pasnage ou hors pasnage ».

 

P1060823.jpgComme on le voit les premiers titres de concessions des droits d’usage laissaient une grande latitude aux usagers : beaucoup d’entr’eux avaient la faculté de jouir de leurs privilèges, sans l’intervention des préposés à la conservation des forêts, et certains de ces privilèges étaient illimités. Mais à mesure que le bois se raréfiait et acquérait une valeur plus considérable, l’on sentit la nécessité de mettre des bornes restrictives aux premières concessions, et d’apposer des mesures préservatrices aux abus et malversations qui s’exerçaient sous l’ombre des droits d’usage. Ces droits prirent à la fin une telle extension, que les forêts, particulièrement celles du roi, en furent inondées. Il n’y avait presque personne dans le voisinage des forêts qui ne fut ou se dit usager. Ces désordres, les défrichements immodérés, l’augmentation de la population, les progrès de l’agriculture et de l’industrie en général avaient fait disparaître, dès le XIVe siècle, d’immenses forêts.

 

Le gouvernement s’occupa dès lors de conserver ce qui avait échappé à la destruction ; plusieurs ordonnances qui devinrent de plus en plus sévères à mesure que le sol forestier perdait de son étendue et de ses richesses, opérèrent quelques réformes utiles. Entre Louis VI, qui signa la première en 1215 et Louis XIV en 1669, dix-neuf ordonnances furent promulgées, sans compter les édits, déclarations et réglements, qui ne portent pas le titre d’ordonnance. Les abbesses n’échappèrent point aux remises en cause de leurs droits, droits qu’elles défendaient continuellement. Ainsi furent-elles, entre 1155 et 1666, dans la nécessité de demander douze fois la confirmation des privilèges octroyés par les rois de France. 

 

En 1380, Charles V ferma la forêt de Cuise aux usagers jusqu’à ce que leurs titres aient été reconnus valables par les juges députés à cet effet. Depuis ce règne jusqu’en 1545, les droits d’usage ont été soumis à plusieurs examens et modifications, mais jusqu’alors l’intérêt des usagers avait toujours su se soustraire aux réformes, dont la nécessité se manifestait de plus en plus.

 

François 1er, par ses lettres patentes de Joinville en date du 31 octobre 1546 s’exprimant ainsi : « Désirant la conservation de ses bois et forêts et à ce qu’ils fussent à l’avenir mieux entretenus », prononça la clôture de la forêt de Cuise aux usagers et ordonna que les droits  d’usage seraient vérifiés par le Grand-Maître et les Juges de la Table de marbre. Pour ceux qui seraient reconnus valables, ces droits seraient modifiés et restreints selon la possibilité et commodité de ladite forêt : à la mort de ce prince cette mesure n’avait pas encore reçu son exécution. À peine monté sur le trône, Henri II s’empressa de renouveler dans ses lettres patentes données à Saint-Germain-en-Laye le 12 mai 1547, la volonté exprimée par son père.

 

Par suite de ces dispositions, des procès ont été intentés à tous les usagers et plaidés par le procureur du roi, devant les Juges de la Table de marbre. Ces plaidoyers révèlent des abus et des malversations sans nombre introduits dans l’exercice des droits d’usage. Toutes les conclusions prises dans l’intérêt des bois tendirent à des restrictions considérables, et même pour beaucoup à des suppressions. Néanmoins, ces privilèges ont encore survécu à cette nouvelle tentative, qui n’eut d’autres résultats que diverses modérations dans les droits et l’introduction de quelques mesures répressives dans leur exercice.

 

À titre d’exemple citons le cas de La Brévière où l’Hôtel-Dieu de St Nicolas au Pont de Compiègne possédait des biens, terres et maisons. Cet établissement qui avait des droits d’usage dans la forêt, pour le moins aussi étendus que ceux des abbesses de St Jean, avait consenti sur ces droits des baux aux habitants du lieu.

 

Suite aux abus et malversations commises dans la manière de jouir de ces usages ces droits furent réduits par jugement du 29 août 1549. Suit un jugement qui enjoint aux habitants de La Brévière de ne plus jouir du droit de pâturage transmis par bail des moines de St Nicolas et leur accorde un délai de six mois pour exécution.


Les lettres patentes d’Henri II « font défense aux religieux et religieuses et aux habitants de faire pâturage et paccage avant l’établissement de leurs droits et avant d’obtenir mainlevée ».

 

Le 28 septembre 1549, une enquête fut ordonnée : « et les agents durent visiter ladite forêt, l’état, essence et quotité d’arbres d’icelle dont ils feraient procès-verbal ».

 

Les plaidoyers révélèrent des abus et des malversations sans nombre, aussi y eut-il des restrictions considérables et beaucoup de suppressions ; toutefois ces privilèges survécurent.

à suivre…

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