Les impressions d’un visiteur de Saint-Jean (troisième article 3)

Saint-Jean a des écarts, tout aussi frais, aussi champêtres les uns que les autres ;


Boudier-La-Breviere.jpgC’est La Brévière, les anciennes bergeries, avec son petit manoir gothique tout battant-neuf, ses prés aux tendres pâturages et ses ruisseaux, filets d’argent, ourlant partout ce tapis frais et vert. C’est Malassise, hameau de boquillons, jeté un peu à la diable, mal assis, sur un pli de la forêt. C’est la Landeblin, ancienne remise à gibier sous les souverains. C’est Sainte-Périne, avec sa garderie aménagée dans une ancienne demeure de recluses et son bel étang où chaque hiver, la campagne cynégétique offre le spectacle, fréquemment répété, d’émouvants bat-l’eau. C’est Saint Nicolas de Courson avec ses chaumières vieilles comme les futaies qui les abritent et son poste forestier, le prieuré, qui parle de longtemps. C’est le Four-d’en-haut, qu’habitaient ces sortes d’alchimistes qu’on appelait les seigneurs ou gentilshommes-verriers. On les prétendait s’être vendus au diable en échange du secret de faire de l’or. Légende, tu dors ici dans ton berceau ! C’est enfin Vaudrampont et sa blanche auberge du Bon Accueil, ses quelques maisonnettes chaudement tapies dans le gazon, autant de nids heureux où chante la ménagère. Poules et canards, toute la gent de basse-cour, vous saluent de leurs gloussements moroses et de leurs coins-coins comiques sans avoir conscience, les malheureuses bêtes, qu’elles appellent peut-être leurs juges.


221Tous ces détours, ces méandres, ces crochets, se font, sous bois, parmi les broussailles, les framboisiers sauvages, les buissons de troène, les euphorbes, les eupatoires, les salicaires, les fougères et les genêts. La bruyère toute fière de son tapis rose vous l’étend quelquefois coquettement sous les pieds et de bonnes odeurs, fumets de cryptogames, vous invitent, en passant, à cueillir girolles, oronges, cèpes et bolets. Cette manne n’est point tombée du ciel mais elle est, en une nuit tiède d’août, sortie du sein de l’alma parens, la terre, cette mère bienfaisante !


Mais, j’en ai beaucoup trop dit sur le village et de ce coin perdu au fond des bois. Chacun ne va-t-il point s’y rendre, mis en appétit par un si friand menu ? Ne le souhaitons pas, les bûcherons en deviendraient trop glorieux. Il leur faut rester modestes comme la nature qui les encadre. Et puis, la voie de fer n’ira, de la vie, bouleverser la forêt ; c’est dire que Saint-Jean demeurera simple et superbe, frais et pimpant comme la touffe de fléchières et de patiences que j’arrache, en rentrant, au bord du ruisseau où jasent les lavandières.

 

                                                                      Saint-Jean-aux-Bois, 30 août 1897.

                                                                                                                                A.D.


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