La mort de Léon Duvauchel

63132564.jpgC’est le vendredi 20 juin 1902 que décède Léon Duvauchel en son domicile, 10, cité Martignac à Paris.


Les obsèques ont lieu le lundi suivant à 10 heures.


Les cordons du poète étaient tenus par MM. Allouard, Président des Parisiens de Paris ; de Braisne, membre de la Société des gens de lettres ; Jean Thorel, de la Société des Rosati, et Caron, ami de la famille.

 

Le deuil était conduit par M. Léon Perier, beau-frère du défunt.

 

Le cortège s’est rendu directement, de la maison mortuaire, à la gare du Nord, où des discours ont été prononcés par MM. De Braisne, Allouard, Thorel et Troubat.

 

Le corps a été dirigé sur Saint-Jean-aux-Bois où Léon Duvauchel a voulu dormir son dernier sommeil.

 

Le cercueil est arrivé en gare de Compiègne à 15 heures. Il a été placé dans un fourgon des pompes funèbres qui s’est mis en marche vers le cimetière de la commune depuis si longtemps habitée par le défunt.

 

Son ami Hector Quignon nous décrit ainsi son arrivée à Saint-Jean-aux-Bois : « A l’entrée de Saint-Jean, les coquettes maisons, précédées des vestibules fleuris de leurs avant-cours, s’ouvrent claires sur des amis en deuil. Presque toutes les femmes ont un bouquet à la main. Et vers La Moussière, la maison vide, se hâtent les voitures : à l’ombre du grand balcon d’où il dominait la paix de son ermitage, l’espace de son clos, suffisant à son bonheur de sage virgilien, le poète, en son lourd cercueil, s’offre à l’hommage ému de tous ceux qui vont lui rendre tout à l’heure les derniers devoirs.

 

C’est l’éternel repos dont l’heure a sonné ; mais ce n’est pas l’éternel silence, car pour tous ceux que réunit là la piété funèbre, gardes-forestiers, amis, habitants, Compiégnois, la maître de la maison reçoit pour la dernière fois ses fidèles ; il leur parle, car les paroles des livres voltigent toujours impalpables sur les lèvres des hommes qui savent !… Et par une touchante pensée, que le hasard seul n’a pas voulue, mais qu’à du inspirer quelques voix mystérieuse, ce sont les gardes-forestiers qui sont désignés, sur l’aveu de leur chef, pour porter le poète de la forêt.

 

6 La Picardie Juin 1902-1Le triste cortège les suit, contourne l’enceinte de l’église de l’ancien prieuré ; la porte du petit cimetière rural s’ouvre en un geste d’accueil sur son intimité de verdure : dans l’encoignure du petit mur en pierres sèches qui le clôt, le caveau de famille met son escalier béant au milieu du sol bossué de tombes. Les forestiers, dans leur grande impression d’un deuil émouvant, songent sans doute que leur cher ami gisant aura sur sa tête la paix des ombrages de la forêt immense, au milieu de laquelle Saint-Jean se blottit comme une alouette dans un buisson.

 

Et Thierry se met à dire, d’une voix forte, mais brisée par la psalmodie douloureuse des phrases senties, son bel adieu littéraire. L’émotion est générale. Je viens ensuite rendre mon hommage, et Mme Botiaux-Daubrive, qui a tenu à parler la dernière, fait couler les larmes longtemps contenues avec peine, en évoquant le dernier vœu de Léon Duvauchel, endormi dans le tombeau de son choix, dans la sérénité du bon ouvrier des lettres et du terroir dont l’exemple reste et dont le nom est notre programme ».

 

« La Picardie perd en Léon Duvauchel son poète inspiré qui se plut à la chanter, à l’exalter, à en décrire les beautés spéciales, et les lettres française, un de ses bons et délicats écrivains, dont l’œuvre naturiste restera » dira son ami Maurice Thiérry.


Un bel hommage lui sera rendu par son ami Fernand Poidevin dans son poème :

 

Léon Duvauchel

 

La mort, ô Picardie ! a fait une saignée,

Vient de faire une entaille en ton sol vénéré

 Pour y coucher celui de ta noble lignée

Qui le mieux te chanta, pour ton barde inspiré.

 

Lorsque le fossoyeur te blessa de sa pelle

N’as-tu pas tressailli, vieux sol où je suis né ?

Et toi, belle forêt ! verdoyante chapelle !

Quand on te le rendit n’as-tu pas frissonné?

 

L’amant des bois touffus et des sombres bocages,

L’ami des bûcherons, des gardes, des oiseaux.

N’ira plus, ô forêt ! rêver sous tes ombrages,

Planter son chevalet au pied de tes bouleaux.

 

Le forestier bien las, quand du soir viendra l’heure.

En regagnant son chaume où l’attend le repos,

Ne s’arrêtera plus à l’huis de la demeure

Où le poète aimé tenait ses doux propos.

 

Il n’est plus, le parrain de l’auberge rustique

Qu’il baptisa gaîment du nom de « bon accueil».

Comme aux processions on suit une relique,

Tous les gars de Saint-Jean ont suivi son cercueil.

 

Aux vieux murs écroulés d’un ancien monastère,

Il avait accroché sa chaumine, son nid,

Et vivait là, l’été, sous ce toit humble, austère.

Se grisant de nature, et d’air et d’infini !.

 

Et c’est là que sa main dans l’argile picarde

Avec art modela les types du terroir.

Son oeuvre restera : l’Avenir nous le garde

Comme on garde une fleur, souvenir d’un beau soir.

 

Dors ! ô bon Maître ! Dors ! tranquille et solitaire.

Dans ta chère forêt, sous le chêne trapu ;

Dors ton sommeil sans fin ! Dans la nuit de la terre,

Poursuis, beau troubadour, ton rêve interrompu !

 

Nature qu’il aima, garnis de tendre mousse

Les parois de la tombe où descend son cercueil !

Et qu’aux printemps futurs la violette pousse

Sur le tertre abritant ce qui fut notre orgueil !

Fernand POIDEVIN.

Le Crotoy, 3 juillet 1902. 

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